La fixation d’objectifs est l’une des techniques de changement de comportement les plus utilisées dans le domaine de la promotion de l’activité physique. Dans cet article, je vous fais part d’une étude qui s’est intéressée au concept de « zone optimale d’objectif », ou, l’action de fixer un objectif qui soit à la fois assez difficile pour être motivant et donc représenter un certain challenge, tout en restant atteignable et réaliste.

Vous avez déjà peut-être entendu parler de l’acronyme « SMART » pour la fixation d’objectifs. Cet acronyme invite à penser les objectifs comme Spécifiques, Mesurables, Atteignables, Réalistes et Temporellement définis. Si cet acronyme n’a à ma connaissance aucune base scientifique, quelques études dans le domaine de l’activité physique ont validé certains des adjectifs utilisés, en montrant, par exemple, que fixer des objectifs spécifiques avait un effet significativement plus important sur les niveaux d’activité physique par rapport à des objectifs non spécifiques (« faites de votre mieux »). De même, une méta-analyse a mis en évidence que les interventions qui fixaient des objectifs à la semaine ou à la journée produisaient des effets plus importants sur l’activité physique que des objectifs fixés dans un délai temporel plus long (objectifs au mois).
Dans l’étude que je vous présente ici, nous nous sommes intéressés aux composantes « mesurables » et « réalistes » des objectifs d’activité physique (l’étude est en accès libre ici). Les théories sur la fixation d’objectifs présupposent que plus un objectif est important, plus ce dernier va conduire à une performance élevée : par exemple, fixer un objectif de 15 000 pas par jour devrait conduire à plus de pas quotidien qu’un objectif de 8 000 pas. Néanmoins, fixer un objectif trop haut, non réaliste, augmente aussi le risque de ne pas atteindre cet objectif, et pourrait après plusieurs jours successifs d’échec mener à une perte de motivation et un découragement.
En théorie, « l’art » de la fixation d’objectifs consiste donc à fixer des objectifs qui soient simultanément motivants et atteignables. Cela suppose l’existence d’une « zone optimale » pour la fixation d’objectifs. Cette idée est illustrée dans l’image ci-dessous. Plus un objectif est difficile (axe gris), plus l’effet sur le comportement peut être important (axe vert), mais plus la probabilité d’atteindre l’objectif est faible (axe bleu). En théorie, il faut donc « bien régler la mire » pour tomber dans cette zone grise dite « optimale » (cette zone étant différentes pour chaque personne et pouvant potentiellement changer au cours du temps, si la personne progresse par exemple).

L’étude
L’étude dans laquelle nous avons testé ces relations a été conduite auprès de 20 participants en surpoids et obèses. Ces participants recevaient chaque jour, pendant 80 jours, un objectif de nombre de pas via leur téléphone portable. Le nombre de pas quotidien était mesuré avec un accéléromètre.
Les objectifs étaient fixés à partir de la moyenne du nombre de pas réalisés pendant les 20 jours précédents le début de l’intervention. Chaque jour les participants recevaient un objectif diffèrent correspondant à leur moyenne de pas par jour (estimés avec l’accéléromètre) pendant les 20 jours précédents le début de l’intervention multiplié par un facteur allant de 1 à 2,6.
Par exemple, si une personne réalisait en moyenne 5 000 pas quotidien pendant les 20 jours précédents le début de l’intervention, les objectifs proposés à cette personne variaient de 5000 (1 x 5000) à 13000 (5000 x 2,6) pas par jour. Ainsi, il nous était possible de tester quotidiennement, pendant 80 jours, différents niveaux de difficulté en matière d’objectifs allant de 1 fois à 2,6 fois le niveau moyen d’activité physique de la personne avant l’intervention.
Les résultats de l’étude confirment :
– Une association linéaire et positive entre la difficulté de l’objectif et le nombre de pas : pour un jour donnée, plus l’objectif est élevé plus les participants sont actifs.
– Une relation linéaire et négative entre la difficulté de l’objectif et l’atteinte de ce dernier, quantifié dans l’étude en pourcentage d’atteinte de l’objectif (un objectif atteint équivalent à 100 %).
Les figures ci-dessous illustrent ces associations pour un participant. A gauche, on peut voir que le nombre de pas (« steps ») augmente de façon linéaire avec la difficulté de l’objectif (« goal difficulty »). A droite, on constate que l’atteinte de l’objectif (« GA % » pour Goal Achievement) diminue avec la difficulté de l’objectif (la ligne rouge matérialise un objectif atteint à 100%).
Conclusion et messages clés
Cette étude valide le concept de zone optimale pour la fixation d’objectifs. Attention, elle ne démontre pas, en revanche, que fixer des objectifs dans cette zone est efficace pour modifier l’activité physique à long terme (une autre étude devra être conduite pour tester cette hypothèse).
Sur la base de ces résultats, nous invitons les enseignants en APA à ajuster les objectifs d’activité physique qu’ils fixent avec leurs bénéficiaires en fonction (1) de l’effet des objectifs sur le nombre de pas mais aussi (2) de l’atteinte de ce dernier. Le but étant d’induire le plus de pas tout en s’assurant que l’objectif est atteint ou proche d’être atteint (atteindre 80 ou 90 % d’un objectif difficile peut être un motif de satisfaction).
Par exemple, pour le participant #2 ci-dessus, on remarque que les objectifs commencent à ne plus être atteints (ils passent sous la ligne rouge) pour une difficulté (« goal difficulty ») supérieure à 2 (figure de gauche). La zone optimale pour ce participant se trouve donc probablement entre 1,5 et 2 fois son niveau moyen d’activité physique pré-intervention.
Notez que cette zone optimale est susceptible de changer dans le temps en fonction de la progression des participants, elle nécessite donc d’être actualisée au fil du temps en fonction des progrès (ou régressions d’ailleurs) du participant.
On retiendra aussi qu’il vaut mieux considérer l’atteinte des objectifs en « pourcentage d’objectif atteint » plutôt que de façon binaire comment cela est parfois fait dans la littérature scientifique : objectif atteint ou non atteint. Enfin, n’oubliez pas, que des objectifs d’activité physique produisent un effet plus important sur l’activité physique s’ils sont fixés au jour le jour, ou au maximum, pour la semaine, plutôt que sur des périodes plus longues.
Pour aller plus loin sur cette thématique voir cet article.
Bonjour,
Super article et bel exemple de recherche qui fait avancer les pratiques avec cette notion de zone optimale à viser.
EAPA habitant dans le Jura et travaillant pour le département de l’Ain. J’ai réalisé mon M1 à l’Université de Sherbrooke en 2008 et c’est à cette époque que j’avais découvert l’acronyme SMART.
On peut retrouver sur internet une version de cet outil proposé par : Miller and Rollnick (2002) – Ressource de L’Alberta Centre for Active Living.
Pour souvenir, il me semble qu’il y avait une petite différence sur ce que vous proposez pour la lettre « R », où chez eux, ils y mettaient le caractère de « Récompense ». Avec la notion de savoir si l’exercice était signifiant pour le pratiquant.
Je préfère votre version du « R » avec le caractère « Réaliste » qui correspond plus à l’utilisation que j’ai de cet outil.
C’est-à-dire plutôt que de rentrer dans un système de récompense, je préfère creuser avec mes bénéficiaire la notion d’ « Importance » qu’ils donnent à leur objectif. Avec des questions simples comme :
-A quel point cet objectif est-il signifiant pour moi ? Pourquoi ?
-Comment est-ce devenu si important ?
Je pense que c’est un meilleur ingrédient dans cette recette « SMART » pour viser comme le précisez la pratique d’activité sur le long terme.
Et qui bien sûr à besoin d’être estimé à nouveau de temps à autre en fonction de l’évolution du bénéficiaire.
Dans cette démarche, j’ai poussé la réflexion un peu plus loin en me penchant sur l’ordre des lettres.
Pensant que cela pouvait avoir plus de sens pour nos usagers de faire passer cet outil, en suivant l’ordre S-R-M-A-T.
problème d’état, cela ne matche plus avec l’anglicisme « Intelligent »… 😊
Je serai intéressé de savoir si ces notions font écho chez vous et si ce sont des aspects qui pourraient être étudiés du point de vue de la recherche.
Merci encore pour l’accessibilité à vos travaux.
Cordialement.
Hugo
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Salut Hugo – merci pour le commentaire. Avec un angle « recherche », ce que tu mentionnes (la notion d’importance) est un « modérateur de l’efficacité de la fixation d’objectif sur l’activité physique. Dit autrement, la fixation d’objectif devrait avoir d’autant plus d’effets sur le comportement si les gens perçoivent l’objectif comme important pour eux. Cela n’a pas été testé empiriquement mais c’est très logique ! On devrait relancer une étude prochainement qui fera la suite de celle-ci, on mesurera davantage de mécanismes comme celui que tu mentionnes. Je te conseil cet article pour aller plus loin dans ta réflexion: https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/17437199.2019.1706616 – Bien à toi. Guillaume.
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Merci beaucoup pour ta réponse et pour le lien, je me suis régalé à le lire !
Ça faisait un moment que je n’avais pas lu d’article, du coup cela a piqué un peu mais cela a fait bien.
Et plus largement, c’était une joie de pouvoir retrouver tout cet ensemble d’éléments préconisés dans l’établissement d’objectifs, et de me rendre compte que je les appliquais dans mes interventions.
Il y a en effet le contenu à mettre en place, mais aussi la manière de le faire passer.
Initié au Counseling à Sherbrooke, je me suis récemment formé à l’accompagnement motivationnel qui englobe parfaitement toute ces données je trouve.
Je ne sais pas si c’est une suite possible, mais je trouverai intéressant de pouvoir réfléchir sur la meilleure méthode, la meilleure stratégie pour s’y prendre.
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