La peur est-elle un bon moteur du changement de comportement ? Réponse courte : non, ou seulement sous certaines conditions.

Cet article de blog explore l’effet des interventions manipulant le sentiment de peur sur les changements de comportements. Un exemple de ce type d’intervention étant la mise en place de visuels chocs sur les paquets de cigarettes (démarche aujourd’hui obligatoire en Europe).

Cet article s’appuie sur une très belle synthèse de la littérature publiée par des chercheurs Hollandais (disponible en accès libre ici) intégrant simultanément plusieurs revues systématiques et méta-analyses.

Globalement, la synthèse des travaux répertoriés montrent que la manipulation du sentiment de peur n’a pas d’effet sur les comportements, voir dans certains cas un effet contre-productif.*

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L’article présenté ci-dessous, publié en 2018, est particulièrement complet dans la mesure où il intègre plusieurs synthèses, théoriques et empiriques, et retrace l’histoire contemporaine de la manipulation de la peur dans le domaine de la santé publique et plus largement.

L’hypothèse sous-jacente à cette technique de changement de comportement est qu’une confrontation émotionnelle avec les effets négatifs de nos comportements (e.g., « fumer augmente le risque de cancer », « ne pas faire d’activité physique augmente le risque de développer une maladie cardiaque ») augmente notre motivation à nous protéger et nous pousse à adapter nos actions dans le but de réduire les risques perçus.

La réalité est plus complexe. Les théories qui traitent de cette question indiquent que cette hypothèse dépend d’au moins 4 critères interagissant les uns avec les autres :

  • La perception de la sévérité des conséquences associées aux risques. Autrement dit, est-ce que la personne prend au sérieux les menaces qui lui sont présentées.
  • La susceptibilité d’en souffrir personnellement. Au-delà de la perception de la sévérité, la personne pense-t-elle qu’elle peu en souffrir directement. Par exemple, un habitant du Nord de l’Europe peut avoir compris que le changement climatique va entrainer des modifications profondes de nos sociétés mais peut aussi s’estimer relativement à l’abri des risques par rapport à des habitants du Sud de l’Europe.
  • Les croyances en ses capacités à prévenir les risques. Le degré de confiance qu’un individu a en ses capacités à s’adapter.
  • Les croyance en ses capacités à changer le comportement à risque. Le degré de confiance qu’un individu a en ses capacités à changer le comportement à risque.

Malheureusement, peu d’études empiriques à ce jour ont correctement manipulé ces différentes variables (il y a des raisons à cela, qui sont développées dans la synthèse sur laquelle je m’appuie, page 4 du fichier pdf).

En effet, les auteurs de l’article ont identifié seulement 6 études (publiées avant 2012, elles datent un peu), manipulant au travers d’essais randomisés contrôlés les 4 facteurs décrits ci-dessus et l’effet de ces manipulations sur plusieurs comportements (i.e., vaccination, utilisation du préservatif, utilisation de médicaments spécifiques à une certaine maladie, anticipation de tremblements de terre et absentéisme scolaire ; cette sélection est détaillée dans un autre article, lui aussi disponible en accès libre).

Les auteurs ont ensuite réalisé une méta-analyse de ces 6 études.

Les résultats indiquent qu’une manipulation du sentiment de peur entraine une modification positive des comportements si et seulement si les niveaux de croyances de l’individu en ses capacités à prévenir les risques et changer son comportement sont élevés (voir la figure ci-dessous).

Autrement dit, la peur peut s’avérer être un moteur positif du changement seulement si l’individu à confiance en ses capacités à changer les comportements à risques ou à s’adapter. Dans le cas inverse (l’individu ne se sent pas capable de modifier ses comportements) une manipulation de la peur peut entrainer un effet contre-productif et renforcer les comportements à risques (voir l’explication complémentaire en légende de la figure).

 

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Légende. La ligne horizontale continue, en gras, représente une taille d’effet de 0, autrement dit « pas d’effets, ni positifs, ni négatifs sur le comportement ».

Le losange violet, à gauche, montre que les interventions de manipulation de la peur ont un effet plutôt négatif et contre-productif sur les comportements en renforçant les comportements à risques (le losange est sous la ligne continue horizontale) pour les individus avec de faibles croyances en leur capacité à s’adapter (« Low efficacy »).

Le losange vert, à droite, montre qu’une communication axée sur la peur peut avoir un effet positif sur les comportements mais seulement pour les individus avec des hautes croyances en leur capacité à changer et s’adapter (« high efficacy »).

 

Les auteurs de cet article, citant quelques travaux utilisant des méthodes issues des neurosciences, indiquent que ces effets contre-productifs, ou dans certains cas absence d’effet, s’expliqueraient par un désengagement de l’attention, un mécanisme de protection envers une information menaçante et/ou des phénomènes de « réactance psychologique ».

Ce qui est intéressant c’est que bien souvent (notamment dans le domaine de la santé) les individus ont peu confiance en leurs capacités à changer. Par conséquent, on peut penser que les mesures prisent, par exemple, pour les paquets de tabac ont été au mieux non efficaces, au pire, contre-productives.

On s’aperçoit d’ailleurs en lisant l’article que cette décision politique, d’afficher des visuels chocs sur les paquets de cigarettes, fait suite à une recommandation établie sur la base d’une étude observationnelle ne permettant absolument pas de conclure à un quelconque effet de ces images sur les comportements, ici, l’arrêt du tabac. Un exemple supplémentaire des difficultés à concilier science et politique… 

Conclusion : une communication basée sur la peur aura un effet potentiellement positif sur les comportements seulement pour les individus se sentant capable de s’adapter et de changer. Pour les autres, une communication basée sur la peur n’aura, au mieux, pas d’effet, au pire, un effet inverse et donc contre-productif. A manipuler donc avec précaution.

Références

Kok, G., Peters, G. Y., Kessels, L. T., Hoor, G. A., & Ruiter, R. A. (2017). Ignoring theory and misinterpreting evidence: The false belief in fear appeals. Health Psychology Review, 12(2), 111-125. doi:10.1080/17437199.2017.1415767

Peters, G. Y., Ruiter, R. A., & Kok, G. (2013). Threatening communication: A critical re-analysis and a revised meta-analytic test of fear appeal theory. Health Psychology Review, 7(Sup1). doi:10.1080/17437199.2012.703527

*Ndlr. J’ai une attitude positive envers Greta.

 

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