La « science personnelle » ou être le propre sujet de son expérience scientifique

J’ai publié un billet de blog il y a quelques mois défendant l’idée que nous avions besoin de plus d’études de cas en science comportementale. Dans ce nouvel article, je vous présente un concept assez proche : celui de la « science personnelle ». Ce mouvement vise à aider des citoyens, sans formation scientifique particulière, à utiliser des méthodes scientifiques de collecte et analyse de données pour répondre à des questions les concernant. 

Les auteurs de l’article auquel je me réfère aujourd’hui (publié en accès libre ici) appartiennent à la communauté dite du « Quantified Self ».  Cette communauté s’intéresse à l’utilisation de méthodes scientifiques de collecte et d’analyse de données par des citoyens, sans formation scientifique particulière, désireux d’explorer des hypothèses personnelles souvent en lien avec leur santé (e.g., « est-ce que je dors mieux quand je consomme tel ou tel type d’aliment le soir »).

Ils définissent la science personnelle comme l’utilisation de méthodes scientifiques dans le but de répondre à des questions que l’on se pose soit même, hors cadre médicale ou scientifique. Le site internet « Quantified Self » répertorie des centaines d’exemples d’individus s’étant « auto-suivi » de façon relativement scientifique pour, par exemple, mieux comprendre l’apparition de certains symptômes telle qu’une allergie ou des maux de tête. 

Certaines personnes utilisent de simples papiers et crayons pour noter au jour le jour leurs ressentis, d’autres des applications digitales ou autres montres connectées plus sophistiquées pour suivre l’évolution d’une variable d’intérêt (un symptôme). On retrouve des exemples de personnes mesurant simplement ces variables au cours du temps et d’autres testant des interventions sur eux-mêmes, comme la prise alternée d’un médicament ou la manipulation d’un comportement (augmenter son niveau d’activité physique un jour sur deux, ne pas manger tel ou tel aliment, etc). 

Comme le montre la figure au début de l’article, la science personnelle comprend plusieurs étapes :

Le questionnement : La science personnelle, comme son nom l’indique, se centre sur des questionnements personnels, propres à l’individu qui les explorent. 

Le design : Les approches utilisées peuvent varier en complexité, de démarches observationnelles assez simples à des démarches plus interventionnelles pour tester des questions précises (eg, qualité du sommeil après avoir mangé tel type d’aliment). 

L’observation : Le cœur de la démarche est de prendre des mesures sur soi, de s’observer et d’en prendre note, à l’aide, ou non, d’outils digitaux (bracelets connectés, applications).

La réflexion : L’objectif de la démarche est de mieux se comprendre à travers l’analyse des mesures récoltées. Cette étape est personnelle mais n’exclue pas le recours à un tiers, un pair, un chercheur, un médecin pour faciliter le processus.

La découverte : L’idée ici est de formaliser les résultats de son expérience et de les partager. De ce que je comprends, le chemin pour y arriver semble autant important que le résultat. Autrement dit, les auteurs mettent vraiment l’accent sur la démarche de réflexion personnelle plus que sur la découverte d’un résultat concret. 

Les auteurs indiquent que la science personnelle est proche mais diffère des concepts de « science citoyenne » ou des « devis expérimentaux à cas unique ». 

La science citoyenne correspond à la collaboration entre scientifiques et citoyens pour répondre à des enjeux plutôt collectifs, alors que la science personnelle est une démarche plus personnelle/individuelle, qui peut ensuite être généralisée à d’autres mais n’a pas vocation, au départ, à répondre à des questions collectives.  

Les devis expérimentaux à cas uniques, utilisés en médecine, psychologie ou encore sciences comportementales sont en général plus protocolaires et contrôlés par le chercheur qui en à l’initiative. La science personnelle se formalise moins du caractère « scientifiquement valide » d’une méthode d’évaluation ou d’observation, du moment qu’elle a du sens pour la personne qui l’utilise.  

Enjeux futurs

Les auteurs de l’article mentionnent trois freins au développement de la science personnelle : 

(1) le manque d’outils pour aider au développement des expériences personnelles, poser des « bonnes » hypothèses et choisir le « bon » protocole ;

(2) le manque d’outils pour mesurer des variables d’intérêts. Les outils disponibles, comme certaines applications, ne garantissant pas une sécurité optimale en matière de stockage des données et de vie privée ; 

(3) le manque de structures permettant d’échanger et de trouver des formes de support social pour mener à bien des projets de science personnelle.   

Conclusion

Selon moi, la démarche est intéressante à plusieurs titres : (1) Je trouve pertinent que le plus grand nombre s’approprie des raisonnements et méthodes scientifiques pour résoudre, par eux-mêmes et/ou avec une aide extérieure, des questions qui les concernent et dont les résultats n’ont pas vocation à être généralisés (pour moi, quels facteurs sont associés à un sommeil de bonne ou de mauvaise qualité ?)

(2) Je serai curieux de voir les effets d’une telle démarche sur différents indicateurs de santé, ou, en d’autres termes, est-ce que s’engager dans une expérience de science personnelle a des effets positifs sur la santé des individus ? 

(3) Ce type d’approche me semble un bon moyen de faire de la science quelque de chose de moins abstrait pour des individus n’ayant pas de formation scientifique. 

Références

Wolf, G. I., & Groot, M. D. (2020). A Conceptual Framework for Personal Science. Frontiers in Computer Science, 2. doi:10.3389/fcomp.2020.00021

Voir aussi : Heyen, N. B. (2019). From self-tracking to self-expertise: The production of self-related knowledge by doing personal science. Public Understanding of Science, 29(2), 124-138. doi:10.1177/0963662519888757

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