Discussion sur les changements de comportements avec Cécilia, enseignante en Activité Physique Adaptée

Il y a quelques semaines, Cécilia, enseignante en Activité Physique Adaptée à la Mutualité Française, m’a contacté pour me poser quelques questions en lien avec une intervention de promotion de l’activité physique qu’elle souhaite optimiser au sein de son réseau.

Cécilia avait des questions concernant le choix d’un modèle théorique pour guider son intervention et l’utilisation des techniques de changement de comportement.

Suite à l’échange de quelques mails, je partage dans cet article mes réponses à ses questions.

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Cécilia : Comment choisir le modèle théorique qui va guider notre intervention quand on est pas expert en psychologie de la santé ?

C’est une question qu’on me pose souvent, tout comme : « quel est le meilleur modèle pour développer une intervention de promotion de l’activité physique ? ». La première chose à avoir en tête c’est que « tous les modèles sont stupides, mais demeurent néanmoins utiles ».

Je paraphrase ici le titre d’un célèbre chapitre expliquant que les modèles en sciences humaines sont nécessairement faux, dans le sens où ils ne peuvent refléter la réalité, trop complexe, des comportements humains, mais restent néanmoins utiles. Un modèle est utile car en le formalisant, on progresse dans la compréhension d’un phénomène particulier (eg. faire de l’activité physique).

Autrement dit, un modèle, dans le domaine qui nous intéresse, restera toujours abstrait, leur but est juste de vous apporter des idées à propos d’un phénomène particulier. Utilisez-les avec une certaine liberté puisqu’il n’existe pas de modèle parfait. 

Ceci étant, c’est un très bon réflexe de développer une intervention de changement de comportement, ou autre d’ailleurs, avec un (ou plusieurs) « modèle(s) » en tête. J’ai déjà présenté quelques modèles sur ce blog :

Avec ces premiers exemples vous balayez déjà un ensemble assez large de facteurs qui peuvent être associés au niveau d’activité physique des individus.

Une formule simple à garder en tête est la suivante : un comportement est le produit de la personne et de son environnement social et/ou physique (comportement = personne x environnement). Essayez donc de choisir, ou construire, un modèle englobant ces différents types de déterminants individuels et environnementaux.

Cécilia : Comment identifier les déterminants à changer au sein de ces modèles ? J’ai déjà effectué une partie de revue de littérature, mais comme vous devez le savoir, il n’y a rarement de consensus entre les articles. Aussi, les déterminants sont propres à une population (dans mon cas, femmes inactives en traitement de cancer du sein), mais au sein de cette population les individus sont hétérogènes. Serait-il possible de cibler les déterminants de façon individuelle ?

Pour rappel, un déterminant renvoie à un facteur précis associé à un comportement. En général, les théories/modèles sont faites de l’interaction entre plusieurs déterminants (voir la figure ci-dessous pour un exemple).

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Cécilia pose deux questions : comment on choisit les bons déterminants et est-ce que ces déterminants peuvent varier d’une personne à l’autre ?

Question 1. Les « bons » déterminants.

Concernant la première question, le premier bon réflexe à avoir est celui de Cécilia : faire une revue de littérature. Autrement dit, identifier des études qualitatives et quantitatives s’intéressant à la promotion de l’activité physique conduites, si possible, auprès de la population qui vous intéresse.

Bien souvent, les études disponibles seront assez décevantes, car limitées méthodologiquement (l’activité physique n’est mesurée qu’une seule fois et par questionnaire), ou redondantes. Par « redondantes », j’entends peu variées. Dans le domaine de la réhabilitation respiratoire et cardiaque par exemple, l’extrême majorité des publications traite du rôle de l’auto-efficacité ou du support social. Ces déterminants de l’activité physique sont importants, mais peut-être insuffisants à eux seuls.

Dans ce cas précis (i.e., vous avez lus des travaux publiés mais cela ne vous satisfait pas), je vous invite à conduire vos propres enquêtes, en utilisant des méthodes qualitatives (e.g., entretiens) et/ou quantitatives (e.g., questionnaires ou autres tests). L’objectif étant simplement de collecter des informations sur ces fameux déterminants, « freins et facilitateurs », dans votre contexte, au sein de votre population. L’expérience professionnelle/clinique est évidemment aussi la bienvenue pour compléter ces informations.

Les informations collectées devraient alors vous aider à construire « votre propre modèle » sur la base de modèles déjà existants et publiés, de vos propres enquêtes et observations de terrain ainsi que votre expérience.

 Question 2. L’hétérogénéité.

Est-ce que ces modèles, et les déterminants qui les composent, peuvent varier d’une personne à l’autre ?

Bien-sûr. Potentiellement, chaque personne a son propre modèle. J’ai d’ailleurs récemment défendu l’idée que nous avions besoin de plus d’études de cas dans le domaine du changement de comportement (voir cet article du blog).

En pratique, il est parfois difficile d’adapter un programme à chaque individu. L’étape intermédiaire consiste à résonner en groupes, ou « clusters », d’individu. Vous pouvez, par exemple, adapter votre modèle et votre intervention à deux ou trois groupes différents que vous avez identifiés au préalable (e.g., les personnes commençant tout juste une activité physique versus essayant de maintenir une activité physique). C’est ce que nous avons commencé à faire dans le cadre d’un programme de réhabilitation respiratoire (voir cet article).

Notez aussi qu’un modèle et les déterminants qui le composent peuvent être pertinent en début de programme mais pas à la fin de celui-ci. Par exemple, réaliser une vidéo avec des images et témoignages de participants à vos séances peut s’avérer utile pour donner envie à d’autres de vous rejoindre et de s’initier à l’activité physique. En revanche, en fin de programme, axer votre intervention sur la création d’habitude ou la préparation à l’autonomie semble plus pertinent.

Pour résumer, les gens sont différents et changent au cours du temps. Essayez de vous construire plusieurs modèles, ou des variantes d’un même modèle, prenant en compte ces différences interindividuelles et variations temporelles (i.e., progression au cours du programme). Autrement dit, un bon modèle et un modèle qui s’adapte aux différentes phases du changement.

Cécilia : J’ai une interrogation concernant l’hétérogénéité. Lorsqu’on propose un protocole de recherche, j’imagine que l’on doit se focaliser sur un modèle et sélectionner uniquement les déterminants les plus pertinents. La prise en compte des variations temporelles et des différences interindividuelles est exploitable uniquement dans un cadre clinique ?

Non. Il n’y a pas que l’essai randomisé contrôlé qui apporte des informations quant à « l’efficacité » d’une intervention. Je pense d’ailleurs que l’utilisation de ce type d’étude (comparaison de groupes intervention et contrôle « avant-après ») est très mal adapté aux sciences comportementales et aux changements de comportement.

Pour étudier des changements, il faut commencer par les observer.

Pour des intervenants de terrain, comme des EAPAs, sans compétences particulières en statistiques, je recommanderai simplement de suivre au niveau hebdomadaire ou mensuel les changements d’activité physique (par questionnaire ou autres méthodes) au cours du temps ; puis, de tracer ces évolutions, individu par individu, sur un simple graphique excel (figure ci-dessous) en décrivant précisément l’intervention que chaque individu a reçu (i.e., quel type de support, à quel moment, sur quoi était basée l’intervention pour cette personne, etc). Ce type de protocole de recherche est, selon moi, beaucoup plus riche et informatif qu’un mauvais essai randomisé contrôlé.

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Cécilia : Comment sélectionner les techniques de changement de comportement ? J’ai apprecié l’article de Susane Michie « From Theory to Intervention: Mapping Theoretically Derived Behavioural Determinants to Behaviour Change Techniques » (2008). A-t-elle publié un schéma similaire mettant en relation ces techniques et les déterminants qui leurs sont associés ?

 Oui, il existe une tentative d’associer les techniques de changement de comportement et certains déterminants motivationnels : voir ce site web et cet article par exemple.

Les tableaux 3 et 4 à la fin de l’article sont intéressants et constituent un bon guide pour lier les techniques de changement de comportement et certains déterminants motivationnels. Le déterminant « attitudes envers le comportement », par exemple, est associé aux techniques 5.1, 5.3, 9.1, 9.2 (voir les tableaux 3 et 4 de l’article).

Cet article de Ryan Rhodes propose aussi un tableau faisant le lien entre certaines variables motivationnelles et les techniques de changement de comportement : extrait de l’article ci-dessous. Par exemple, dans ce tableau la création d’habitude (‘habit’) est associée aux techniques 7.1, 7.5, 7.8, 8.1, 8.3. Le renforcement du sentiment d’auto-efficacité (‘perceived capability’) est associé aux techniques 4.1, 6.1, 6.2, 8.1, 8.7, 15.1 de la taxonomie de S. Michie (2013).

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Aussi, j’ai apprécié l’un de vos derniers articles sur le blog « Une nouvelle taxonomie des techniques de changement de comportement pour gérer soi-même sa motivation et ses comportements ». Je vais lire plus attentivement l’article. Selon vous, cette méthode est facilement applicable sur le terrain ?

 Selon moi, cette seconde liste de techniques, présentée sur le blog ici, est plus pertinente que la première et notamment pour aider les gens à gérer eux-mêmes leurs comportements et motivations, sans dépendre d’un tiers.

Je la trouve relativement simple à utiliser dans la mesure où les messages motivationnels sont mieux décrits que la taxonomie initiale ; en revanche, elle mériterait d’être traduite en français.

Avis aux motivés !

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