Pourquoi avons-nous besoin de plus d’études de cas en sciences comportementales ? Trois principaux arguments

La plupart des études conduites dans le domaine des changements de comportements de santé utilisent des méthodes comparant des groupes de participants, ou « mélangeant » des participants pour obtenir un résultat qui s’applique à une « personne moyenne ».

Par exemple, une étude interventionnelle va comparer un groupe « intervention » à un groupe « contrôle » ; une étude corrélationnelle va conclure, qu’en moyenne, dans un certain échantillon, on observe une corrélation positive entre le niveau d’activité physique et l’état de santé.

Dans cet article, je fais la promotion d’une approche alternative : les études de cas.

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Qu’est-ce qu’une étude de cas ?

Une étude de cas est une étude qui se centre sur l’individu et donc, concrètement, analyse chaque participant indépendamment les uns des autres. On obtient donc des résultats qui sont propres à chaque personne.

Par exemple, une étude de cas interventionnelle peut conclure que, pour une personne A, la pratique d’une activité physique modérée à intense le soir a un effet négatif sur le sommeil (par rapport aux autres nuits de la semaine où aucune activité physique n’est pratiquée en soirée) ; un effet positif sur le sommeil pour une autre personne B ; et aucun effet sur le sommeil pour une troisième personne C.

Il n’est donc pas question d’effet « moyen » (en moyenne pratiquer une activité physique le soir à un effet négatif sur le sommeil), mais bien de différences inter-individuelles1 (dans quelle mesure cette intervention « fonctionne » pour cette personne en particulier ? »).

Prenons un second exemple. Une étude de cas observationnelle peut chercher à identifier quels sont les facteurs (motivation, météo, douleurs articulaires, charge mentale) associés au niveau d’activité physique pour un échantillon d’individu. Dans ce cas, les résultats peuvent indiquer qu’un facteur météorologique comme le taux de précipitation est significativement associé au niveau d’activité physique quotidien pour une personne ; un ensemble de facteurs (charge mentale et motivation) peut s’avérer associé au niveau d’activité physique pour une autre personne E ; une absence de relation significative entre les facteurs mesurés et l’activité physique peut être identifiée pour une personne F.

Notez que les études de cas ne s’épargnent pas du concept de puissance statistique. Quand vous avez besoin d’au moins 30 participants dans chacun de vos groupes contrôle et interventionnel pour obtenir un résultat statistiquement robuste, une étude de cas nécessite, aussi, un nombre plus ou moins important d’observations par participant pour obtenir un résultat robuste.

Revenons à notre exemple concernant l’activité physique pratiquée le soir et ses effets potentiels sur le sommeil. En fonction des hypothèses de départ et des tests statistiques effectués, 2 ou 3 mois d’observations quotidiennes peuvent être nécessaires par participant (3 mois x 30 jours = 90 observations par participant).

Dit autrement, au lieu de mesurer 90 participants différents, vous mesurez 90 fois l’activité physique et le sommeil d’un même participant. La puissance statistique est donc associée au nombre d’observation par participant et non au nombre de participant en lui-même (mon propos est illustré dans la figure ci-dessous).

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Maintenant que vous avez une idée du type de questions auxquelles nous pouvons répondre avec les études de cas, et du type de résultats obtenus, je vous présente dans les sections suivantes trois arguments justifiant l’adoption de ce type d’approche en sciences comportementales.

(Si besoin d’exemples supplémentaires, deux études de cas ont déjà été présentés sur le blog, ici et ici).

Argument 1 : utilité pratique/clinique et rigueur conceptuelle

(1) Utilité pratique. Il est possible qu’à la lecture des paragraphes précédents, les intervenants de terrain ou cliniciens se disent que les études de cas constituent leur quotidien. En effet, dans leurs pratiques professionnelles, ils évaluent en général des personnes séparément les unes des autres, et sur la base de ces évaluations, adaptent plus ou moins leurs interventions aux besoins de ces personnes.

C’est tout l’intérêt pratique des études de cas : les résultats obtenus sont propres à une personne et donc directement utilisables pour -et éventuellement par- cette personne.

Ça semble logique, mais pourtant, particulièrement dans le domaine de la santé, la norme reste d’évaluer les pratiques en « mélangeant » les individus entre eux. Le protocole de référence en médecine étant l’essai randomisé contrôlé (RCT). Or, un RCT vous permet de conclure pour des groupes d’individu (contrôle versus intervention) mais l’hétérogénéité des réponses au sein de ces groupes est peu prise en compte (si ce n’est statistiquement). Autrement dit, avec un RCT vous obtenez un résultat qui s’applique à une personne « moyenne » ; seulement cette « personne moyenne » peut, dans certains cas, ne pas exister ou mal refléter la réalité (voir argument #3).

Les protocoles de type « étude de cas », s’ils sont conduits et analysés correctement, reflètent donc directement et concrètement les interventions de terrain.

(2) Rigueur conceptuelle. Les études de cas sont aussi intéressantes sur le plan théorique car elles permettent d’apprécier pleinement les différences inter-individuelles ; autrement dit, dans quelle mesure une personne diffère d’une autre.

De plus, comme on mesure en général les paramètres d’intérêt plusieurs fois au sein d’une même personne, les études de cas produisent des « séries temporelles » adaptées à l’étude des dynamiques intra-individuelles (« comment une variable/un processus évolue au cours du temps, des saisons, d’une intervention, au sein d’une personne ? »).

Les séries temporelles produites sont aussi très utiles pour étudier l’effet de l’environnement sur un mécanisme particulier (est-ce que les niveaux d’activité physique varient de façon consistante lors des pics de pollution ou en fonction de l’environnement social, des personnes côtoyées dans une journée ?).

En conclusion, les études de cas permettent de mettre en valeur l’hétérogénéité des processus étudiés.

Argument 2 : faisabilité technique et financière

Certaines personnes pourraient rétorquer que les affirmations effectuées dans le paragraphe précédent s’appliquent aussi aux études longitudinales avec mesures intensives (i.e., plusieurs mesures par jour). C’est vrai. Mais les chercheurs qui ont déjà essayé de mettre en place ce type d’étude savent aussi combien il est difficile de récolter beaucoup de données (mesures intensives) auprès d’un grand nombre de participants.

Les études de cas, dans la mesure où seul un participant est nécessaire, sont de fait plus faciles à conduire et peu couteuses en ressources (il existe une multitude d’options gratuites pour développer des questionnaires sur smartphone – exemple).

J’ajoute que les études de cas peuvent avoir un caractère beaucoup plus motivant pour les participants dans la mesure où les résultats de l’étude s’applique directement à ces derniers. Cet argument contribue aussi à réduire le problème récurrent des « données manquantes » dans les études longitudinales intensives.

En somme, ce type d’étude est parfait dans bien des cas pour tester une idée à moindre coût (dans le cadre d’un mémoire de master par exemple), ou en guise d’étude pilote avant de reconduire le protocole sur un échantillon de participant plus conséquent.

Argument 3 : statistiques et absence de généralisation groupe -> individu

Les résultats obtenus « en moyenne » pour des groupes d’individus, dans le cadre d’un RCT ou d’une étude corrélationnelle, ne s’appliquent réellement aux individus que dans certains cas. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’une intervention à des effets positifs en moyenne, que ces effets s’appliquent au niveau individuel. De la même manière, ce n’est pas parce qu’une corrélation existe en moyenne, qu’on la retrouve de façon consistante au niveau individuel (voir cet article du blog).

Si ce fait est assez bien décrit depuis plusieurs années, un article empirique récent, publié dans une revue prestigieuse, est venu relancer le débat.

Dans cette étude, les auteurs comparent la dispersion d’un ensemble de mesures psychologiques (1) au sein des participants et (2) entre les participants. L’article se base sur 6 échantillons de participants distincts contenant une centaine de participant (N = 100) et environs autant d’observations (i.e., mesures) par participant. Pour les 6 échantillons et indicateurs psychologiques testés, la variance intra-individuelle (au sein des participants – en rouge sur la figure ci-dessus) était 4 à 6 fois plus importante, que la variance inter-individuelle (entre les participants – en bleu sur la figure ci-dessus). 

Pour résumer, une observation récoltée au sein de 10 personnes différentes (N = 10 personnes) n’équivaut pas toujours à un scenario ou 10 observations sont récoltées pour 1 personne (N = 10 observations ; voir la figure ci-dessus).

La conséquence est simple, pour les indicateurs testés dans cette étude, un résultat moyen pour un groupe d’individu ne s’applique pas aux individus. Dit autrement, dans cette configuration vous pouvez obtenir une corrélation pour une « personne moyenne » mais cette personne moyenne n’existe pas.

Sur la base de cette démonstration empirique, les auteurs recommandent de vérifier la correspondance entre les résultats obtenus pour des groupes d’individus et des individus spécifiquement. Ceci étant particulièrement pertinent pour des processus susceptibles de varier de façon importante au sein des personnes (i.e., motivation, comportements, …), par rapport aux processus qui varient moins (i.e., condition physique, genre, …).

Les études de cas permettent donc d’éviter le problème d’absence de généralisation groupe -> individu.

Conclusion

Les études de cas permettent, à moindre coût, de tester des hypothèses de recherche complexes, tant observationnelles qu’interventionnelles. De plus, les résultats obtenus sont spécifiques à chaque participant, ils peuvent donc en bénéficier directement (e.g., adapter leur traitement / prise en charge).

Les études de cas comportent des limites : elles s’appliquent davantage à l’étude de processus dynamiques (e.g., variant d’un jour à l’autre) ; elles sont plus complexes à analyser ; elles peuvent être difficile à interpréter si l’objectif final reste de généraliser un résultat (notez ici que les études de cas sont « compilables », vous pouvez tout à fait  méta-analyser 100 ou 1000 études de cas si votre objectif est de généraliser un résultat a une population).

 Quelques références en Français sur cette thématique

Voir ces articles de blog de Paquito Bernard : article 1 ; article 2

Et ces articles de Jacques Juhel et Thierry Atzeni.

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Yannick, le mot est lâché !

2 réflexions sur « Pourquoi avons-nous besoin de plus d’études de cas en sciences comportementales ? Trois principaux arguments »

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