Vous prenez l’escalier ou l’ascenseur ? Un exemple d’expérience (marrante) dans le domaine de l’économie comportementale

Dans cet article, je vous fais part d’une étude qui compare l’effet de deux interventions visant à favoriser l’utilisation de l’escalier au détriment de l’ascenseur. L’étude, publiée en 1981 n’est pas toute jeune (pour une étude), mais vaut le détour !

Prendre l’escalier au lieu de l’ascenseur est l’un des messages de santé publique les plus répandus. Néanmoins, la première chose qui saute aux yeux dans l’introduction, c’est que l’article ne vise pas un objectif de santé publique mais d’économie d’énergie. L’objectif de l’étude est présenté de la manière suivante : comparer l’effet de deux interventions sur la consommation d’énergie de trois ascenseurs. Deux expériences sont proposées.

Expérience 1

La première expérience se déroule sur un campus canadien (Mount Saint Vincent University) et « met en jeu » trois ascenseurs dans deux buildings différents. Pour l’expérience les ascenseurs sont équipés de dispositifs permettant de mesurer leur consommation énergétique en kilowatt par heure.

Plusieurs conditions expérimentales sont testées, en plus d’une condition contrôle dans laquelle aucune intervention n’est mise en place :

Condition (1) Un tableau blanc est placé à chaque étage devant les portes de l’ascenseur et indique sa consommation moyenne la semaine précédente et son record de consommation (i.e., la semaine où l’ascenseur a consommé le moins d’énergie). Le but est alors de lancer un défi aux utilisateurs pour qu’ils essayent de battre le record d’énergie précèdent et donc utilisent moins l’ascenseur.

Condition (2) Les mêmes tableaux blancs sont utilisés en combinaison avec des posters, placés sur les portes de l’ascenseur, et exposant des messages visant à promouvoir l’utilisation de l’escalier pour (i) faire des économies d’énergie, ou (ii) être en meilleure santé.

Condition (3) Pas de poster ni de tableau, mais le délai d’ouverture des portes de l’ascenseur est rallongé, passant de 10 secondes en position ouvertes à 26 secondes ou 21 secondes.

Résultats

Comme l’indique la figure ci-dessous (les auteurs ne proposent pas de résultats statistiques mais seulement visuels), seule la modification du délai d’ouverture des portes des ascenseurs semble impacter la consommation énergétique de l’ascenseur.

Screen Shot 2019-08-22 at 2.58.34 PM

Abscisse : les différentes conditions expérimentales par tranche de 24 heures ; ordonnée : la consommation énergétique (kilowatt par heures) pour les trois ascenseurs.

Expérience 2 

Cette première expérience à un biais principal : les auteurs ne contrôlent pas le nombre de personne utilisant l’ascenseur ; ils ne peuvent donc pas savoir si leur manipulation (augmenter le délai d’ouverture) affecte la consommation énergétique via un processus mécanique (l’ascenseur consomme moins du fait de la modification du délai d’ouverture des portes), ou si, en effet, les gens utilisent moins l’ascenseur.

Ils décident donc de répliquer l’expérience 1, mais cette fois-ci en contrôlant le nombre de personnes utilisant l’ascenseur. Pour ce faire, des expérimentateurs se placent dans le hall d’entrée de chaque bâtiment et comptent les utilisateurs pendant une heure, à quatre moments différents de la journée. Deux autres variables dépendantes sont donc créées : (1) le nombre de personne utilisant l’ascenseur, et (2) le nombre de voyage réalisé par l’ascenseur.

Résultats

Un pattern assez similaire est observé, en comparaisonà la condition de départ (Baseline1, où aucune intervention n’est mise en place), le délai d’ouverture des portes semble modifier la consommation d’énergie et le comportement des utilisateurs. L’effet semble perdurer même quand l’ascenseur retrouve un délai de fonctionnement normal (Baseline 2).

Screen Shot 2019-08-22 at 2.58.48 PM

Abscisse : les différentes conditions expérimentales par tranche de 24 heures ; ordonnée : la consommation énergétique (kilowatt par heure), le nombre de voyage et d’utilisateurs, pour un ascenseur seulement.

Discussion

Une intervention de type « économie comportementale » visant à rendre l’utilisation de l’ascenseur moins pratique, semble plus efficace qu’une intervention de type « cognitive » (posters et feedbacks), pour promouvoir l’utilisation des escaliers dans un bâtiment.

Attention, (1) ces expériences s’accompagnaient aussi d’effets indésirables, puisqu’un délai trop long entrainaient des plaintes de la part des utilisateurs (particulièrement ceux qui n’avaient pas d’autre choix ; personnes en fauteuil roulant ou personnels de « maintenance » avec des chariots etc) ; (2) à ma connaissance, les résultats n’ont jamais été répliqués.

Conclusion 

(1) Il est possible que pour certains comportements « spontanés » comme celui-ci (choisir entre l’escalier ou l’ascenseur), des interventions de type « économies comportementales » aient un intérêt particulier au détriment d’interventions motivationnelles mettant en jeu plus de ressources cognitives (i.e., messages de promotion de l’activité physique).

(2) Dans une période où le discours écologique est de plus en plus prégnant, il semble intéressant d’établir davantage de liens entre l’écologie et la santé publique (ie., la promotion des déplacements actifs), dans la mesure où les deux sont susceptibles de s’auto-influencer.

Pour aller plus loin sur la thématique de l’économie comportementale dans le domaine de l’activité physique voir ces articles de blog de Paquito Bernard :

https://actiphysetc.wordpress.com/2017/11/14/augmenter-lactivite-physique-par-des-strategies-de-nudging-peu-de-preuves-scientifiques-disponibles/

https://actiphysetc.wordpress.com/2017/11/26/augmenter-lutilisation-des-escaliers-avec-de-simples-signaux-cela-fonctionne/

Reference

Houten, R. V., Nau, P. A., & Merrigan, M. (1981). Reducing elevator energy use: A comparison of posted feedback and reduced elevator convenience. Journal of Applied Behavior Analysis, 14(4), 377–387. doi: 10.1901/jaba.1981.14-377

3 réflexions sur « Vous prenez l’escalier ou l’ascenseur ? Un exemple d’expérience (marrante) dans le domaine de l’économie comportementale »

  1. Bonjour,
    Merci pour cet article fort intéressant. Effectivement, écologie et santé publique sont très liés. Tout comme les inégalités sociales sont très liées à la précarité énergétique et sociale et alimentent le dérèglement climatique. J’ai dans mon immeuble des gens jeunes avec des enfants de moins de 10 ans qui sont habitués à prendre l’ascenseur juste pour 1 étage …… et malgré qu’il faille saisir un code pour utiliser l’ascenseur !!! Je ferai juste une remarque sur les unités d’énergie : l’énergie est mesurée en kWh : kilowattheure et non kW/h (kilowatt par heure). C’est une erreur assez répandue…. Salutations.

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